Qui a peur d'Antigone ? Personne ? Néanmoins, pour vraiment comprendre le défi de l'héroïne de Sophocle, il faudrait bien sentir un certain effroi devant l'étrange mélange de violence et de piété, de cruauté et de douceur de cette vierge.
L'énigme de la beauté de cette héroïne - que nous aimons malgré l'horreur que certains de ses gestes ou mots nous inspirent - se confond avec le problème de l'interprétation de la tragédie. Antigone est une des tragédies les plus commentées, représentées et présentes dans l'imaginaire moderne. Après deux millénaires et demi, elle nous offre, toujours et encore, la possibilité d'une identification quasiment immédiate. Mais qu'y a-t-il de « réel » dans cette identification ? Qu'est-ce qui est forcé, illusoire ou sentimental dans notre admiration ? Voilà les questions que Hölderlin et Nietzsche ont posées au lecteur moderne en montrant que le goût des « chefs-d'oeuvre » peut se dégrader et devenir un simple cliché.
La traduction de Hölderlin - malgré son obscurité - arrache le drame de Sophocle aux grilles de lecture idéologique ou religieuse qui opposent la noble Antigone au tyran avide de pouvoir. Contre ce type d'aplatissement sentimental, Hölderlin souligne, d'un côté, la cruauté magnifique de l'héroïne, de l'autre, il met en relief son statut véritablement politique. En même temps, il montre que Créon n'est pas seulement l'homme d'État, mais que son projet de gouvernement n'exclut pas un sincère souci pour son fils. |