Ces textes [neuf], en apparence sans cohésion, ne sont pas le fruit du hasard ; ils correspondent à des " possibilités ", et ils peuvent soit relever de la poésie puisque tous leurs éléments se prêtent à une morphologie, soit constituer tacitement une provocation à l'égard de ce qui n'a pas été dit ou qui ne peut se dire. C'est sous cet angle, il me semble, que le surréalisme doit connaître sa discipline intérieure, car jusqu'à présent le jeu de sa provocation appartenait strictement au domaine public.
Celui qui écrit fait nécessairement acte de mondanité, tout en ouvrant des perspectives nouvelles au langage ; l'écriture, comme l'automatisme en général, tend à la communication ; seulement à la limite de sa réussite les choses se gâtent et celui qui communique se soustrait de plus en plus à son identité recherchée. Par delà quelques frontières le langage est toujours abstrait, et le secret réside dans des détails infimes qu'on a négligés en route et qui éclairent d'une manière diffuse ce passé où notre tentative a expiré. Il serait donc absurde de prétendre à l'immédiateté par des voies traditionnelles. Le roman comme la poésie n'abordent que le côté le moins rigoureux de l'existence humaine, ainsi que l'historique. Quelle est donc la place de la littérature parmi ce chiffre de fulgurances ? Dans les cadres de ce livre, elle est essentiellement souvenir ; mais celui-ci n'est pas dépourvu d'anticipation. (Michel Fardoulis-Lagrange)
Certes, une part autobiographique trace un filigrane dans ces pages, mais l'autobiographie, chez M. F-L, est tout autant prétexte au travail sur l'abstraction, l'image, la langue, l'évocation, la littérature même, que peuvent l'être tous ses récits. Il faut suivre les analogies, revenir en arrière comme on remonterait le temps de l'histoire singulière (qui invite toutes les histoires annexes à se mêler à elle), il faudrait plonger au fond de ce langage-voyage où le détail le plus concret apparaît en définitive comme le signe tangible et infaillible d'une résonance abstraite des confins comme des origines.
Michel Fardoulis-Lagrange (1910-1994)
Enfant grec du Caire, né le 9 août 1910, Michel Fardoulis dès l'âge de 14 ans écrit et, très vite, publie dans les revues littéraires grecques d'Egypte (entre autres celle de Cavafis, Alexandrini Techni).
En 1929, il arrive à Paris où il traverse des années de grande misère ; il cesse alors d'écrire pour se consacrer à la politique et adhère au P.C. (sous le nom de Lagrange) ; il en sera exclu en 1936 mais restera toujours passionnément fidèle à ses premiers engagements.
Salué par de grands contemporains, Artaud, Bataille, Éluard, Henein, Jacob ou Leiris, de 1937 jusqu'à la fin de sa vie, il ne cessera d'écrire et, plus que jamais, à la prison de la Santé où durant l'occupation (1942/1943), il sera incarcéré pendant un an.
En 1945, son amitié, sa rencontre avec Jean Marquet entraîne la fondation de Troisième Convoi (1945-1951).
Sa vie s'est partagée entre Paris, sa maison du Vaucluse et, à partir de 1972, chaque année un voyage en Grèce, souvent à Cythère d'où la famille Fardoulis est originaire. Il meurt à Paris le 26 avril 1994.
Editions José Corti, 02/2001, 128 pages.
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