La philosophie de Platon se trouve ici interrogée sur la conception de l'alphabet, c'est-à-dire sur les éléments qui rendent possibles la lecture, l'écriture et l'énonciation de quelque pensée que ce soit. Point d'autre instrument, pour cette philosophie qui veut dire le Vrai et ses principes, que la langue naturelle et ses ressources qui ne sont pas primordialement discursives. D'où le triple conflit : entre les "éléments" et les "principes", entre l'écrit fait de signes et le dialogue de mots, entre les traces imprimées dans l'âme et celles que le devenir du monde efface et réécrit inlassablement. Ainsi on voit restituée pas à pas la décomposition totale des éléments du langage et de la pensée, pour mettre à nu un Alphabet, modèle d'ordre. Dans la philosophie de Platon, apparaît une réflexion sur la texture même de la langue grecque ; d'autre part, le coeur de cette philosophie - la dialectique - est relié par une série d'articulations à une théorie des éléments qui plonge ses racines dans l'histoire des lettres. Pour mettre au jour ces soubassements littéraux de la dialectique, on utilise les ressources de la linguistique et de la logique. Le platonisme se trouve ainsi en quelque sorte redécouvert par ce jeu entre "littéral" et "littéral". L'oeuvre même est relue à travers le problème avec lequel elle s'explique : celui du jeu entre l'oeuvre philosophique soumise à un genre et la nécessité d'inscrire le développement progressif du Sens avec des "lettres", celles d'une langue particulière qui lui tient lieu de médium. Ainsi réapparaît le mouvement premier du platonisme, réactualisant la nécessité d'une théorie de l'écriture et de la lecture.
Claude Gaudin, est professeur à l'Université Jean-Moulin (Lyon III). |