Gorgias de Platon
Traduit de grec par Jacques Cazeaux
Il est loisible de parcourir le Gorgias en y voyant alterner deux thèmes
d'école, l'éloquence et le bonheur. Mais ce fil conducteur ne
guide qu'un parcours scolastique. Il reste ténu, et finale ment vain,
parmi le flot, à même la force du drame. Chaque personnage de ce
dialogue incarne une volonté de puissance. Socrate part de l'ambition
de l'orateur Gorgias : bienveillante, neutre, paterne, force de la parole, elle
pourrait être assimilée aux prétentions d'humanisme des
médias, aujourd'hui. Socrate débusque ensuite chez Polos l'emprise
de l'Image, le besoin d'admirations ou de modèles qui introduisent au
rêve éveillé; pour finir, il oblige Calliclès à
sortir son Mein Kampf. C'est pourtant Gorgias, l'ami approximatif de la justice,
le politique léger, qui survit tel un fantôme dangereux, courant
le monde sans être repéré. C'est chez lui que certains de
ses disciples cultivent innocemment la ciguê que Socrate devra boire.
Bien que dans le Gorgias Socrate ne cherche pas à vaincre mais à
convaincre, le dialogue tourne court et s'éteint en monologue, quitte
pour Socrate à l'illuminer d'une implosion merveilleuse. S'il appelle
déjà les hommes politiques à l'héroïsme, ce
livre mordant est aussi une réflexion sur les difficiles héritages
moraux. Ceux qui ne philosophent pas volontiers chaque soir, de huit à
dix, y trouveront à penser, avec effroi et bonheur.
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